Il existe dans les professions médicales des tabous que l’on ne peut pas franchir. Celui de la publicité médicale en est un. Et pourtant, une série de décisions européennes d’abord puis nationales après ont réussi à (enfin ?) briser ce rempart déontologique, idéologique.

Tout a commencé par la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par la justice belge. Elle a été amenée à statuer sur l’affaire du Docteur VANDERBORGHT1. Le délit de ce chirurgien-dentiste ? Il s’était permis de placer un panneau devant son cabinet indiquant l’adresse de son site internet. Il a fait même plus : il avait osé faire de la publicité sur son site pour des traitements dentaires. Pire encore, il a inséré des annonces publicitaires dans des journaux locaux. Provocateur ou suicidaire ? Peut-être clairvoyant. En tout cas, un syndicat belge a engagé des poursuites … pénales contre lui en arguant du fait que la publicité faite par des professionnels de santé constituait un délit en Belgique.

La juridiction belge saisie a décidé de renvoyer à la Cour de justice la question préjudicielle déposée par le praticien afin de savoir si l’interdiction générale et absolue de publicité pour les professionnels de santé était ou pas conforme au droit européen.

Après délibération, la Cour européenne a estimé qu’une interdiction générale et absolue de toute publicité pour des prestations de soins dentaires est incompatible avec le droit de l’Union européenne, mais qu’un encadrement des formes et des modalités des outils de communication utilisés par les dentistes reste possible. Un vrai bouleversement. Que dis-je ? Un séisme.

Le Conseil d’État2 lui a emboîté le pas en publiant un an plus tard, le 3 mai 2018, un rapport reprenant à son compte l’ensemble des conclusions de la Cour de justice.

Surprenant lorsque l’on sait que la juridiction française aurait dû donner l’exemple en cassant une décision de sanction de 15 jours d’interdiction d’exercer contre un praticien qui avait eu le tort de mettre quelques indications de ses traitements sur son site internet3. Mais elle ne l’a pas fait et a laissé ce malheureux praticien fermer son cabinet. Pas étonnant lorsqu’on sait que le Conseil d’État valide pratiquement toutes les condamnations disciplinaires. La souffrance meurtrière subie par les praticiens n’a jamais été une préoccupation pour les juges de la déontologie4.

Que dire alors de cette insupportable décision du Conseil d’État5 qui refuse d’annuler une sanction d’interdiction d’exercer pendant une durée de trois mois infligée à un chirurgien-dentiste et à sa SELARL à cause d’une … plaque professionnelle qui n’était pas au goût de la déontologie parce qu’elle constituait un « procédé publicitaire… destiné à tromper le public » sans ne donner aucune autre forme de détail ! Comment expliquer qu’au mois de mai 2018 le Conseil d’État prônait l’abolition de l’interdiction de publicité et qu’au mois de décembre de la même année, il ait permis la condamnation démesurée et disproportionnée d’un praticien pour un problème de … plaque ?

Mais les caciques de la morale et de l’éthique professionnelles sont allés encore plus loin, trop loin en condamnant des praticiens de centres dentaires du fait de la publicité réalisée par ces derniers. Le bénéfice par ricochet de la publicité est difficile à admettre.

Le 6 mai 2019, le Conseil d’État a refusé de franchir ce pas complémentaire et a jugé que6 :

D’une part, il résulte de ce qui précède que les centres de santé ne sont pas soumis aux obligations fixées par les codes de déontologie élaborés, en application des dispositions de l’article L. 4127-1 du code de la santé publique, pour chacune des professions de médecin, chirurgien-dentiste et sage-femme. Par suite, en jugeant, pour prononcer à l’encontre de M. A…la sanction litigieuse, que le centre de santé dont il préside l’organisme gestionnaire avait, en publiant des messages promotionnels, méconnu l’obligation déontologique posée par l’article R. 4127-215 du même code en vertu duquel  » la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce « , la chambre disciplinaire nationale a entaché sa décision d’erreur de droit.

D’autre part, en jugeant que M. A…avait, du seul fait de la publication de ces messages promotionnels, lui-même méconnu l’interdiction posée à l’article R. 4127-215 du code de la santé publique, sans rechercher si des agissements lui étaient personnellement imputables à ce titre, la chambre disciplinaire nationale a également entaché sa décision d’erreur de droit.

L’audience sur renvoi a eu lieu le 21 novembre dernier. Il est évident que la chambre disciplinaire nationale suivra à la lettre la décision du Conseil d’État et que le praticien sera enfin et définitivement blanchi de toute accusation.

Si nous en sommes convaincus, c’est parce qu’un syndicat dentaire a emprunté malencontreusement cette même voie. Par décision reçue cette semaine, le praticien salarié d’un centre dentaire, poursuivi pour « publicité indirecte » a été bien entendu relaxé7.

Il existe aussi différentes approches en Europe puisque la publicité est permise dans certains pays (Italie par exemple). Une affaire montrait les incohérences existant du fait de l’absence d’harmonie en Europe. Un praticien orthodontiste exerçant à la fois en France et en Angleterre a fait de la publicité sur deux sites internet en langue anglaise. Sur plainte du conseil départemental de Paris, la chambre disciplinaire nationale des chirurgiens-dentistes a condamné l’orthodontiste binational. Mais le Conseil d’État a refusé de faire droit à cette analyse et a cassé la décision de sanction.

Pour lui, l’affaire de ce praticien n’entrait pas dans la définition de la publicité interdite8.

Mais le plus incompréhensible est que depuis la décision de la CJUE, le gouvernement français a pris une ordonnance en 2018 qui interdit « toute forme de publicité en faveur des centres de santé ». Ce texte a été ratifié par la loi du 24 juillet 20199, alors que les parlementaires savaient pertinemment que cette loi est contraire à la jurisprudence de la juridiction européenne et du Conseil d’État.

Mais lorsque la politique devient dogmatique et idéologique, la loi perd toute cohérence. La crédibilité de la France vole en éclat, car, « en même temps », le Conseil d’État a rendu un arrêt10 annulant la décision implicite de la ministre des Solidarités et de la Santé refusant d’abroger le second alinéa de l’article R. 4127-19 du Code de la santé publique portant sur l’interdiction de publicité pour les médecins.

Ce qui signifie qu’aujourd’hui le texte déontologique interdisant toute publicité pour les médecins n’a plus aucune valeur juridique. C’est-à-dire que les médecins ont le droit de faire de la publicité, encadrée11, pour leur activité professionnelle.

De notre côté, nous nous sommes engouffrés dans cette brèche juridique pour demander l’annulation des 1°, 2°, et 3° de l’article R. 4127-215 du Code de la santé publique imposant aux chirurgiens-dentistes une interdiction de faire de la publicité auprès du public.

Une révolution est en marche. Les Ordres médicaux auraient tout intérêt à manœuvrer avec intelligence et émettre des propositions ouvertes prenant en considération le siècle dans lequel nous vivons, en mettant un trait définitif à l’archaïsme professionnel des années quarante.

Vivement des initiatives réformistes mesurées, mais réelles, telles que celles opérées par l’Ordre des avocats. Tout est à changer dans les procédures disciplinaires et dans le code de déontologie. Tout ? Oui, tout doit être revu à l’aune de 2020, belle année pour les réformes voulues ou imposées.

Rudyard BESSIS

Avocat à la Cour

Docteur en droit

Docteur en Sciences Odontologiques

Docteur en chirurgie dentaire

bessis.avocat@free.fr

1 4 mai 2017, n° C-339/15.

2 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/184000394.pdf

3 Nous soutenions en défense que les informations mises sur un site internet d’un praticien ne peuvent être assimilées à de la publicité parce que le patient devait faire la démarche d’entrer dans le site. Il était donc à la recherche d’une information. Il engageait ainsi une recherche active alors que la publicité en général est subie par les citoyens : un panneau publicitaire sur la route, une publicité lors de la vue d’un film à la télévision … est imposée au particulier qui ne recherche aucune information.

De plus, à mon sens, il fallait assimiler les informations dans la salle d’attente qui sont toutes permises aux informations délivrées dans un site. Dans les deux cas, le patient entrait dans la sphère privée du cabinet dentaire. Il ne s’agissait donc pas de publicité. Malheureusement, tous les juges, y compris le Conseil d’État, ont alors été sourds à cette analyse. Nous étions en 2010 et notre approche était trop novatrice pour ceux qui sont en charge d’une déontologie dogmatique ankylosée.

4 J’invite les juges à lire l’excellent article publié dans le Quotidien du Médecin, Face à l’annonce d’une plainte ordinale, les praticiens sous le choc, Sophie Martos, 15 novembre 2019, https://www.lequotidiendumedecin.fr/face-lannonce-dune-plainte-ordinale-les-praticiens-sous-le-choc

5 C.E., 4ème chambre, 19 décembre 2018, req. n° 421825 et 421944. C’est en hommage à toutes ces victimes que cet article est écrit en contenant mon courroux et ma plume.

6 Conseil d’État, 4ème et 1ère ch. Réunies, req. n° 408517.

7 Chambre disciplinaire nationale, 22 novembre 2019, dossier n° 2691 : chose assez rare pour le souligner, les conseils départementaux des 75 et 92 ainsi que le président d’un syndicat ont été condamnés solidairement à verser au praticien 1.000 € pour les frais de justice.

8 Conseil d’État, 4ème et 5ème SSR, 21 janvier 2015, req. n° 362761 : « … constitue un procédé publicitaire prohibé au sens de cet article, la mise à disposition du public, par un praticien ou sans que celui-ci ne s’y soit opposé, d’une information qui ne se limite pas à un contenu objectif et qui vise à promouvoir auprès de patients éventuels l’activité au titre de laquelle ce praticien est inscrit au tableau de l’ordre des chirurgiens-dentistes en France ; que, dans l’hypothèse où, eu égard à son contenu, cette information n’est pas destinée à de telles personnes, la circonstance qu’elle leur soit librement accessible, notamment lorsqu’elle figure sur un site internet, n’est pas, par elle-même, de nature à lui conférer le caractère d’une publicité prohibée… les circonstances ainsi relevées par la chambre disciplinaire nationale et jugées par elle inopérantes étaient bien de celles dont M.B…pouvait utilement se prévaloir pour établir que l’information disponible sur le site litigieux n’était pas prohibée »

9 Ordonnance n° 2018-17 du 12 janvier 2018 ratifiée par l’article 77, IX – 23° de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019.

10 C.E., 4ème et 1ère chambre réunies, 6 novembre 2019, req. N° 416948.

11 Rappelons que la Cour de justice de l’Union européenne a estimé « qu’une interdiction générale et absolue de toute publicité dépasse ce qui est nécessaire pour réaliser les objectifs poursuivis. Ces derniers pourraient être atteints au moyen de mesures moins restrictives encadrant, le cas échéant de manière étroite, les formes et les modalités que peuvent valablement revêtir les outils de communication utilisés par les dentistes », CJUE précitée.

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